16 mars 2023
quartier d'affaires

Entretien avec Alex Wilkins du Swiss Corporate Real Estate Network

Auteurs
Erik Ganz

Director, Head Real Estate Strategy & Transactions and Assurance in Financial Services | EY Switzerland

12 years focus on Asset Management and Real Estate. Family father, sport enthusiast and trusted partner. Pursuit networking, new challenges, and purpose-driven work.

Daniel Zaugg

Advanced Manufacturing & Mobility Sector Leader | Switzerland

Focuses on auditing and advising international clients.

16 mars 2023

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Dans le domaine de l’immobilier d’entreprise [Corporate Real Estate, CRE], les systèmes d’indicateurs ne sont spécifiques ni aux branches, ni aux secteurs. La priorité n’est pas l’efficience, mais l’efficacité.

Le Swiss Corporate Real Estate Network encourage l’échange de connaissances entre ses membres afin de générer des synergies (meilleures pratiques) dans le secteur immobilier. Alex Wilkins, responsable du Swiss Corporate Real Estate Network, expliquera comment les portefeuilles immobiliers sont structurés et comment les entreprises internationales organisent la gestion de portefeuille, il illustrera le développement général du secteur Corporate Real Estate (CRE) et expliquera pourquoi la durabilité et les critères ESG deviennent de plus en plus importants dans ces organisations.

En brief
  • Le Swiss Corporate Real Estate Network promeut les échanges, le partage des connaissances, l’apprentissage et la collaboration dans la branche.
  • La flexibilité est la clé d’un portefeuille immobilier réussi.
  • Dans l’immobilier d’entreprise comme dans les autres secteurs d’activité, il est inconcevable de ne pas agir selon les principes du développement durable.
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Chapitre #1

Structuration du portefeuille immobilier

Les portefeuilles immobiliers des entreprises se distinguent par le fonctionnement, le nombre et l’emplacement géographique des biens détenus.

Les portefeuilles immobiliers des groupes internationaux se distinguent aussi bien par le fonctionnement que par le nombre et l’emplacement géographique des biens détenus. Les exigences à l’égard des bâtiments et de la gestion du patrimoine immobilier (facility management) sont ainsi spécifiques. Aussi faut-il tenir compte de cette complexité dans la gestion et le pilotage du portefeuille immobilier. Si l’on prend les 15 plus grandes entreprises de Suisse selon la capitalisation boursière en milliards de dollars US (avril 2022), on constate que les trois premières opèrent dans le secteur de la transformation des produits alimentaires (Nestlé), des sciences de la vie (Roche, Novartis) ou de l’extraction des matières premières (Glencore). Y a-t-il des différences dans la structuration des portefeuilles immobiliers dans ces trois secteurs ?

AW: L’industrie alimentaire, l’industrie des sciences de la vie et l’industrie des matières premières ont une chose en commun: contrairement à d’autres branches en Suisse comme le secteur de la finance ou de l’assurance, toutes trois relèvent du secteur manufacturier. Or les entreprises du secteur manufacturier ne sont généralement pas locataires, mais propriétaires de leurs biens immobiliers. Elles s’assurent ainsi de garder le plein contrôle de leurs principales installations de production dans l’entreprise. De plus, il est moins coûteux d’être propriétaire des biens sur chaque emplacement, a fortiori lorsque l’entreprise occupe le site pendant longtemps.

Les exigences réglementaires qui sont propres à chaque pays et les différences culturelles compliquent souvent la mise en œuvre et le maintien d’une stratégie d’implantation globale. Selon vous, quelles sont les trois plus grosses difficultés à cet égard ? Et comment les surmonter ?

AW: Lorsqu’on élabore une stratégie d’implantation, la difficulté consiste à trouver l’équilibre entre l’offre et la demande. D’un côté, l’offre varie constamment sur les marchés immobiliers; et de l’autre, la demande est difficile à prévoir. Cela est dû au fait que les facteurs internes et externes changent rapidement. Nous évoluons donc dans un environnement volatil, incertain, complexe et ambigu, même si le marché immobilier détient les actifs. Pour résumer, on peut dire que la demande est plus flexible que l’offre, ce qui représente une difficulté pour le développement d’une stratégie de portefeuille globale pour chaque occupant.

En outre, la fonction CRE ne se limite plus à un simple rôle de gestion des coûts. La fonction CRE doit se développer pour devenir un département de l’entreprise qui permet d’accroître la productivité. La période post-COVID a soulevé des questions sur le retour au bureau des employés, sur le développement de la culture d’entreprise pendant les périodes de télétravail et sur l’importance du bureau en général. Le discours a évolué puisque le bureau, que l’on considérait auparavant comme un facteur de coûts, est devenu un élément central de la création de valeur dans les entreprises. Le vécu des employés est une composante de l’environnement de travail physique à ne pas négliger. La fonction CRE doit travailler main dans la main avec d’autres fonctions dans l’entreprise, comme les RH et le service informatique, et ce n’est pas encore suffisamment le cas dans bien des entreprises.

Je vois une autre difficulté dans la définition d’indicateurs qui expriment la contribution qualitative des biens à la valeur de l’entreprise et ne représentent pas seulement une charge. Des indicateurs comme le taux d’utilisation, les charges d’exploitation (OpEx) par employé ou les dépenses d’investissement (CapEx) par mètre carré sont faciles à mesurer et largement répandus chez les occupants. L’environnement de travail génère une valeur ajoutée mesurable sur la productivité, la rentabilité, l’image de marque et l’attachement des collaborateurs, et c’est dans cette voie que la branche va se développer.

En résumé, on peut dire que l’équilibre entre l’offre et la demande, le développement de la fonction CRE pour en faire un moteur de productivité et la définition d’indicateurs reflétant la contribution des biens à la valeur de l’entreprise seront les composantes des stratégies de portefeuille CRE de demain. Par le passé, les entreprises mettaient surtout l’accent sur le contrôle des actifs et la gestion de coûts. Le lien entre l’identité de l’entreprise et l’attachement de ses collaborateurs passera de plus en plus au premier plan à l’avenir.

Une entreprise doit accroître sa performance et son efficience pour atteindre ses objectifs. C’est pourquoi les indicateurs clés de performance (KPI) sont aussi importants et incontournables. Quels KPI faut-il définir pour un benchmarking national ou mondial ?

AW: On utilisera toujours les indicateurs traditionnels relatifs aux coûts et à l’utilisation de l’espace. Ils ne sont pas spécifiques à une branche ou un secteur particuliers, qu’il s’agisse de l’assurance, de la finance, des sciences de la vie, de l’alimentation et des boissons ou du commerce de détail. Comme je le disais plus haut, on attachera plus d’importance à l’efficience des biens à l’avenir (p. ex. attachement des collaborateurs).

Les portefeuilles immobiliers des entreprises ont une influence majeure sur les émissions de CO2. Une part considérable des émissions mondiales de CO2 sont imputables au secteur du bâtiment. Cela inclut aussi bien les surfaces louées que les surfaces utilisées pour l’approvisionnement (chauffage, climatisation, etc.). Il devient donc de plus en plus important de mesurer ces indicateurs clés de performance afin de renforcer la prise de conscience pour le développement durable dans les entreprises et permettre un pilotage efficace. L’efficacité spatiale est un autre KPI important, surtout depuis la période post-COVID. De plus en plus d’organisations réalisent des enquêtes sur l’attachement des collaborateurs et la satisfaction des occupants pour comprendre les attentes des employés vis-à-vis de leur futur environnement de travail. Les indicateurs typiques sur l’efficacité de l’espace ou la rentabilité, comme p. ex. le nombre d’ETP par mètre carré ou le CapEx/OpEx par unité de surface ou par personne, sont toutefois encore utilisés.

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Chapitre #2

Organisation de la gestion de portefeuille

Pilotage efficace d’un portefeuille immobilier global et principales difficultés opérationnelles dans ce contexte.

Comment peut-on piloter efficacement un portefeuille immobilier global et quelles sont les principales difficultés du point de vue opérationnel ?

AW: La bonne performance d’un portefeuille dépend de certaines conditions préalables. Condition sine qua non, l’entreprise elle-même doit être capable de prévoir ses besoins au plus proche de la réalité. La fonction CRE concourt au dialogue avec les parties prenantes, et selon la forme qu’elle revêt, elle peut aussi avoir pouvoir d’autorisation et de signature. Il est donc crucial que la fonction CRE ait une bonne compréhension du marché sous-jacent.

Inversement, la fonction CRE doit travailler en lien étroit avec les succursales locales, car ce sont généralement leurs besoins qui déterminent la demande. La mise en œuvre d’une stratégie cohérente, y compris en matière de gouvernance, peut devenir un défi dans la mesure où il faut composer avec des exigences différentes, voire conflictuelles, dans l’ensemble de l’entreprise. Les changements de direction, les restructurations et le manque de souplesse des chaînes d’approvisionnement sont d’autres écueils à éviter pour pouvoir gérer un portefeuille global efficacement.

Souvent, les cycles de marché lents et changeants ne coïncident pas avec les exigences à court terme des clients ou de l’entreprise.

Les portefeuilles CRE internationaux sont-ils plutôt organisés de manière spécifique à un pays ou de manière régionale (p. ex. EMEIA, Amériques, Asie-Pacifique, etc.) ?

AW: Les fonctions CRE sont généralement organisées par ensemble géographique ou par région. Mais les régions peuvent varier d’une organisation à l’autre. Par exemple, il y a des organisations dans lesquelles certains groupes de l’entreprise ont leur propre identité (fonctions rattachées à des unités commerciales), éventuellement après des fusions et des rachats. À cet égard, il n’y a pas vraiment de différences entre les branches et les secteurs.

La structuration d’une organisation en régions permet aux succursales locales d’agir. En effet, ce sont les experts sur place qui sont le plus au fait des spécificités du marché local. Mais d’un autre côté, il n’est pas facile de diriger une grande organisation avec des centaines d’experts locaux.

La manière dont le capital disponible est contrôlé et dont les budgets sont gérés dépend fortement de la structure de l’organisation. Dans certaines entreprises, la fonction CRE est chargée du compte de résultats, elle contrôle les dépenses et les répartit entre les différents secteurs de l’entreprise. Dans d’autres cas, les dépenses sont gérées et contrôlées par les succursales locales. Les autorisations nécessaires sont données par les experts compétents. Mais compte tenu de la dynamique du marché et de la nécessité d’agir dans l’ensemble de l’entreprise, les fonctions CRE internes sont plutôt d’envergure mondiale ou régionale.  Les services de courtage locaux sont assurés par des tiers.

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Chapitre #3

Évolution générale du marché

Volatilité, flexibilité et avantage comparatif – gestion de ces aspects dans le cadre de la gestion de portefeuille dans une industrie B ou C

On observe une grande proximité géographique entre les différents acteurs, qui sont regroupés en clusters, surtout dans les branches les plus tournées vers la recherche et la production. Cela leur permet, entre autres, de puiser dans un vivier de personnel qualifié potentiel dans la région et de tirer parti des instituts de recherche fondamentale, des PME proches de la branche et des organisations internationales implantés à proximité. Quand un candidat potentiel à l’implantation s’intéresse à la Suisse, quels sont selon vous les facteurs déterminants pour qu’il choisisse un site ?

AW: L’un des critères est le site lui-même. D’une manière générale, la proximité avec les clients et l’accès aux infrastructures pour les employés sont importants. D’un côté, les employés veulent travailler dans un cadre dynamique qui offre toutes les commodités. Mais de l’autre, ils souhaitent le faire dans un bâtiment de haute qualité, qui répond aux normes sanitaires et environnementales, et qui respecte les principes du développement durable. Pour le locataire, ce sont les conditions locatives qui priment avant tout. Pour chaque locataire, indépendamment de la branche ou du pays, la combinaison de ces facteurs est déterminante pour choisir le bon site. Pour les laboratoires et les instituts de R&D, la proximité d’un vivier de compétences pour développer des produits et des innovations peut être encore plus importante. Ces investissements sur le site qui convient et l’accès à une main-d’œuvre qualifiée, mais aussi les investissements externes à l’entreprise sur le site (subventions de l’État, soutien par la commune, implantation d’entreprises d’approvisionnement, etc.) constituent la base des flux de revenus futurs et des nouvelles gammes de produits.

Par rapport à l’immobilier de bureaux traditionnel, les charges d’exploitation sont nettement plus élevées dans les entreprises du secteur de la fabrication, de la production et de la R&D. Et compte tenu de la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine, on peut s’attendre à ce que les charges d’exploitation continuent d’augmenter fortement. Comment cela entre-t-il en ligne de compte dans la planification de portefeuille, et comment peut-on garantir l’approvisionnement énergétique des sites productifs ?

AW: En général, l’approvisionnement énergétique ne relève pas du domaine de compétence de l’équipe Real Estate and Facility. Cette tâche incombe au service des achats. Cela étant dit, l’équipe Real Estate and Facility sensibilise en interne à l’utilisation raisonnée de l’énergie et à la mise en place de pratiques durables au sein de son propre portefeuille immobilier. C’est comme ça que cette équipe contribue à la protection et à la sécurisation de l’approvisionnement énergétique. La priorité, ce sont les installations de production, car ce sont elles qui consomment le plus d’énergie. Le fonctionnement des machines nécessite un approvisionnement ininterrompu en électricité.

Je constate que de plus en plus de locataires s’intéressent aux solutions d’approvisionnement énergétique local. Il s’agit notamment d’installations solaires et éoliennes indépendantes du réseau qui peuvent injecter de l’énergie directement dans les installations de production et de fabrication. À moyen et à long termes, les contrats offrant une couverture contre les fortes augmentations des prix de l’énergie (energy hedging contracts) vont devenir monnaie courante sur les marchés où l’énergie est dérégulée. Certains sites exploitent leurs propres installations de production d’énergie pour sécuriser leur approvisionnement énergétique et ainsi garantir la continuité de leurs activités.

Comment réalise-t-on un benchmarking des charges d’exploitation? Y a-t-il des différences dans les méthodes utilisées? L’analyse comparative repose-t-elle sur les données du site ou sur des benchmarks externes ?

AW: Dans la plupart des entreprises, les coûts d’occupation (consommation énergétique comprise) sont mesurés pour l’ensemble du portefeuille. Mais la plupart des entreprises ne réalisent pas de benchmarkings externes, c’est-à-dire des analyses comparatives entre un site et les valeurs moyennes de la branche, comme MSCI en a par exemple développés. Le benchmarking interne reste la norme à ce jour. Cela consiste à comparer d’une région à l’autre, ou d’un bâtiment à l’autre. C’est utile, certes, mais c’est moins pertinent qu’une comparaison avec la branche ou la moyenne. Par rapport aux coûts d’occupation, le benchmarking est donc moins cohérent.

Les portefeuilles CRE sont-ils plutôt gérés et pilotés par une équipe de facility management interne ou externe ?

AW: La tendance actuelle dépend plus du type de bien que de la branche. Dans le secteur des services de R&D et des installations de production, on recourt souvent à une combinaison de spécialistes internes et externes. Cela peut prendre la forme d’une série de contrats individuels, d’un regroupement de contrats ou d’un modèle IFM complet. Pour résumer, on peut dire que les activités en lien avec la production et la fabrication sont souvent réalisées par des spécialistes internes. L’externalisation des activités GMP suscite généralement des réticences, car elle implique une perte de contrôle sur ces domaines de production. Mais elle reste quand même pratiquée pour certains sites.

Les modèles d’approvisionnement plus complets tels que les contrats IFM et les contrats groupés sont aussi privilégiés parce que ces contrats de facility management incluent une part obligatoire de hard services et qu’ils contribuent à garantir la continuité des activités. À l’inverse, du fait de la plus grande importance qu’ils attachent aux soft services et de leur présence plus réduite ou plus fragmentée, les locataires de petite taille continuent de s’appuyer sur leurs collaborateurs internes ou sur plusieurs contrats d’externalisation de services individuels.

Les locataires utilisent des modèles de services de facility management différents selon les régions et les sites. La tendance générale est à la collaboration et à la coopération avec des fournisseurs de solutions IFM externes. La plupart des hard services et des soft services sont alors fournis par une entreprise pour chaque site ou chaque région, et parfois même dans le monde entier. Dans ce modèle, il y a encore des collaborateurs et des ressources internes. Mais ces experts se concentrent plus sur la gestion des contrats, des vendeurs et des fournisseurs que sur la fourniture des services individuels.

La flexibilité comme condition pour des biens hautement opérationnels. En d’autres termes: les biens des exploitants doivent offrir un potentiel de développement et d’agrandissement afin d’éviter les déménagements coûteux et permettre le développement du site. Ces considérations sont-elles pertinentes pour choisir un site et les entreprises exigent-elles un potentiel d’agrandissement flexible ?

AW: La flexibilité est la clé d’un portefeuille immobilier réussi. Les décisions immobilières engagent l’organisation pendant une longue période et impliquent des coûts relativement élevés. Les dispositions contractuelles ne peuvent être modifiées qu’à certaines conditions. La flexibilité est donc indispensable, que ce soit pour s’adapter aux changements externes ou aux nouveaux besoins de l’organisation – comme ce fut le cas pendant la COVID-19 (télétravail) – avec un minimum d’efforts et de coûts.

Idéalement, cela signifie que l’agencement est modulable rapidement dès que les occupants en font la demande.

Pour permettre aux employés de partager leurs postes de travail et de travailler en fonction de l’activité, des locaux plus flexibles et modulables doivent être créés. Et le taux d’occupation de ces bureaux doit pourvoir être mesuré. On observe que le télétravail et le travail sur sites externes font l’objet d’un intérêt croissant dans l’ère post-COVID. Mais ce modèle n’est pas soutenable pour beaucoup d’entreprises. 

J’estime qu’un bail de bureaux traditionnel bien négocié et offrant une certaine flexibilité (options de break, possibilité de réduire ou d’augmenter les surfaces pendant la durée du contrat, etc.) suffit pour la plupart des occupants.

La croissance en soi n’est pas synonyme de volatilité, de flexibilité et d’avantage comparatif. Comment ces aspects sont-ils gérés dans un portefeuille immobilier de l’industrie B ou C ?

Un portefeuille immobilier nécessite une certaine flexibilité pour être performant, quelle que soit la taille de l’entreprise. Et ce besoin de flexibilité est encore plus grand dans les branches B et C, qui dépendent fortement de facteurs externes. Autrement dit, il y a moins de capital disponible et les flux de revenus générés sont parfois moins élevés.

Une tendance se dessine sur le marché des transactions: les entreprises, surtout celles dans l’industrie pharmaceutique et chimique, veulent puiser dans leur capital investi en immobilisations pour réinvestir dans leur cœur d’activité. Que pensez-vous de cette évolution ?

AW: La plupart des entreprises ne détiennent plus beaucoup d’actifs immobiliers. La plupart ont déjà vendu ce qu’elles voulaient vendre. Le concept n’est pas nouveau, surtout quand il s’agit d’immeubles de bureaux. Il n’est pas très courant de détenir des immeubles de bureaux, sauf s’ils se trouvent dans un campus destiné avant tout à la production et aux activités liées.

La plupart des entreprises essaient de rationaliser leur utilisation de l’espace disponible (densité spatiale). Sauf dans les cas où des ventes ou des titrisations font partie de la stratégie commerciale de l’entreprise. Pour le dire autrement, les mètres carrés inoccupés ne génèrent pas de charges d’exploitation et ne nécessitent aucunes dépenses d’investissement. Plus la structure d’une organisation est légère, moins les dépenses d’investissement ont d’influence et plus l’empreinte de CO2 est réduite. Pour aménager leurs locaux plus efficacement, la plupart des organisations utilisent des indicateurs clés de performance pour leurs dépenses d’investissement ("fit-out CapEx KPIs"). Parce que des locaux aisément modulables sont moins coûteux à adapter si les exigences de leurs occupants évoluent.

Toutes les entreprises sont différentes. Certaines sont des organisations internationales, d’autres de petites entreprises locales. Certaines doivent investir beaucoup de capital, et d’autres ont besoin de cash-flows élevés. Y a-t-il des tendances spécifiques pour les entreprises qui font de grosses dépenses d’investissement ?

AW: Les entreprises qui investissent du capital massivement sont plus intéressées par le coworking. Autrement dit, elles plébiscitent les bureaux flexibles ne nécessitant pas de dépenses d’investissement. Les coûts d’aménagement ainsi évités sont convertis en loyers. Tous leurs coûts immobiliers sont des charges d’exploitation. Ce choix, qui peut être fait pour des raisons financières ou de flexibilité, n’est généralement pas la norme. Mais je pense que l’efficience est souhaitée en matière d’allocation du capital. Les entreprises se focalisent de plus en plus sur la qualité de leur portefeuille immobilier, surtout post-COVID. Toutefois, dépenser plus de capital ne se traduit pas forcément par une qualité accrue. Les biens immobiliers sont vus avant tout comme des espaces offrant une certaine qualité de vie et non plus comme des facteurs de coûts. Cela signifie que le portefeuille a le potentiel d’accroître la productivité des employés, et qu’il peut permettre de prendre des mesures durables dans l’intérêt général ou d’améliorer la culture de l’entreprise.

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Chapitre #4

ESG et développement durable

L’empreinte écologique et son rôle dans la stratégie de l’entreprise.

L’empreinte écologique joue un rôle important pour de nombreuses entreprises. Beaucoup recherchent des fournisseurs d’énergie durables en termes d’émissions de CO2 et qui peuvent le prouver. Elles se renseignent pour savoir s’ils ont des installations photovoltaïques ou se demandent si elles pourraient en installer elles-mêmes afin d’agir sur leurs émissions de CO2 et le démontrer. Pensez-vous que les entreprises qui occupent leurs biens s’intéresseront à ces thèmes ESG ou à d’autres thèmes à moyen et à long termes ?

AW: Je ne pense pas qu’une branche en particulier joue un rôle de précurseur dans la prise en compte des questions ESG. Presque toutes les entreprises ont défini des objectifs ESG à leur niveau. Dans de nombreux cas, ces objectifs font partie des directives émises par la fonction CRE. Mais certaines entreprises ont surtout suivi cette approche pour leurs installations de production et de fabrication, parce qu’elles consomment beaucoup de ressources et que c’est dans ce domaine que les mesures ESG sont le plus efficaces.

N’oublions pas que certaines fonctions CRE ne sont pas chargées d’assurer la surveillance des installations de production, qui dans certaines circonstances sont gérées par un département d’ingénierie séparé dans l’organisation.

Les directives émises par la fonction CRE qui ont trait aux facteurs ESG sont focalisées sur l’utilisation efficiente de l’espace, la location "écologique" et les équipements durables dans les portefeuilles commerciaux de bureaux. Les directives émises par la fonction CRE qui ont trait aux facteurs ESG sont focalisées sur l’utilisation efficiente de l’espace, la location "écologique" et les équipements durables dans les portefeuilles commerciaux de bureaux. La priorité désormais, ce sont les émissions intrinsèques de carbone (énergie grise: le bilan CO2 des matériaux) dans le secteur de la construction, qui représentent une part très importante des émissions de carbone. "Comment peut-on les intégrer dans la politique CRE?", c’est à cette question qu’il faut répondre. L’accent mis sur les émissions intrinsèques encourage les locataires à privilégier le bâti plutôt que la construction et à prolonger le cycle de vie des bâtiments. Des jumeaux numériques (ex.: modèles BIM) sont en outre utilisés pour mieux documenter les matériaux de construction et le bilan de CO2 du bâtiment.

Y a-t-il des branches dans lesquelles les questions ESG ne sont pas clairement intégrées dans la stratégie et les pratiques des entreprises ? Si oui, à quoi cela est-il dû et y a-t-il des plans pour changer cette situation ?

AW: La plupart des occupants incluent directement, dans leurs critères de choix de site ou de bâtiment, les aspects du développement durable à la construction, à l’achat ou pour la location de nouveaux locaux. Les certificats de bâtiment, la possibilité de souscrire des baux plus écologiques et le recours à des énergies plus vertes sont des éléments qui peuvent permettre d’optimiser un portefeuille immobilier et les efforts consentis pour le développement durable.

Ces facteurs de soutenabilité sont difficiles à mesurer. Il existe une multitude de normes pour les bâtiments écologiques, qui sont toutes différentes les unes des autres et qui ne sont pas directement comparables. Un occupant qui opère à l’échelle mondiale ou qui est présent sur de nombreux marchés ne peut donc que difficilement mesurer le caractère écologique réel de son portefeuille. Un grand nombre d’entreprises ont développé leurs propres systèmes d’indicateurs internes. Mais ces derniers ne sont pas comparables les uns aux autres s’ils ne sont pas comparés de manière externe.

Dans quelle mesure les aspects du développement durable (objectifs d’émissions nettes égales à zéro, certificats des bâtiments) jouent-il un rôle dans le choix des nouveaux immeubles et dans la sélection des prestataires aux niveaux mondial et local ?

AW: Dans les entreprises qui opèrent au niveau mondial, il est courant que les fournisseurs signent le code de déontologie de l’entreprise, le code de conduite des fournisseurs et la charte ESG correspondante. En général, l’étendue des services réalisés par les prestataires de services de facility management, les courtiers ou l’équipe de gestion des transactions de l’entreprise comporte déjà des éléments qui ont trait au développement durable. C’est plus ou moins une norme établie sur le marché.

Un nombre croissant d’entreprises locataires exigent des principes de bail écologique et s’engagent à les respecter. La démarche est mutuelle puisque locataires et bailleurs s’engagent à utiliser le bâtiment de manière soutenable. L’éventail des mesures possibles est large: obligation d’aménagement du bâtiment, partage des données de consommation avec le bailleur et les autres locataires, investissements ou co-investissements dans des améliorations d’infrastructures du bâtiment pour aider le bailleur à obtenir des certificats de bâtiment écologique, etc. Plus de 30 entreprises font partie du Swiss Corporate Real Estate Network. Ces entreprises représentent peu ou prou la moitié de l’indice SMI. Notre réseau national peut ainsi exercer une grande influence. Plus il y aura d’entreprises locataires qui s’engageront dans la voie du développement durable et plus le marché locatif évoluera.

Quel rôle l’équipe Real Estate and Facility joue-t-elle dans la stratégie ESG globale de l’entreprise ?

La stratégie ESG d’une entreprise repose sur des valeurs. L’équipe CRE épaule et agit conformément à ces valeurs. Il est difficile de trouver une entreprise qui n’a pas introduit de directive ESG aujourd’hui. C’est comme s’il n’y avait pas de directive sur le thème de la diversité. Dans l’immobilier d’entreprise comme dans les autres secteurs d’activité, il est inconcevable de ne pas agir selon les principes du développement durable.

Ce dont nous avons vraiment besoin, c’est que les entreprises s’engagent à intégrer le développement durable dans leurs processus décisionnels. C’est le seul moyen pour placer le développement durable, les dépenses d’investissement et les indicateurs de rendement sur un pied d’égalité. L’intégration de systèmes d’indicateurs ESG dans les directives et les processus CRE est de la plus haute importance. 

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Chapitre #5

Thèmes opérationnels

Défis et opportunités dans le contexte de la pandémie de COVID-19 et dans le cadre de la gestion intégrée du cycle de vie.

Les locataires de biens hautement productifs ont des exigences bien supérieures à celles des locataires de bureaux. Selon vous, quelles sont les prestations de facility management supplémentaires ou particulières pour les sites chimiques/industriels par rapport aux types d’affectation traditionnels ?

AW: Les sites chimiques et industriels doivent satisfaire à des exigences supplémentaires par rapport aux classes d’actifs traditionnelles comme les bureaux, le commerce de détail ou l’immobilier résidentiel. Les exigences spécifiques vis-à-vis des installations découlent des activités qui sont menées sur le site, par exemple en matière d’élimination des déchets chimiques ou de respect des niveaux de protection biologiques. Les gestionnaires de site doivent comprendre le marché sous-jacent, les processus liés et les activités de leurs clients internes, qu’il s’agisse de collaborateurs internes, d’équipes internes ou de prestataires externes. Ces activités sont en lien étroit avec la gestion du site, comme p. ex. l’utilisation et la surveillance des infrastructures. Seule une bonne compréhension des besoins de l’occupant permet de créer des solutions innovantes.

Ces 10 dernières années, les occupants ont défini des exigences vis-à-vis des prestataires non seulement pour les "soft services" mais aussi pour certains "hard services". En général, les clients exigent le modèle de l’année précédente, mais à un prix plus avantageux. Pour savoir de quoi l’avenir sera fait, il est important de comprendre les processus clés des occupants et de connaître les besoins qui en découlent. Ces besoins pourront alors être satisfaits. Il en résultera une utilisation plus efficiente, plus flexible, plus modulable et plus durable de l’espace. Les équipes de facility management performantes (aussi bien internes qu’externes) sont en mesure d’identifier des services adaptés et des concepts de mise en œuvre optimaux pour soutenir au mieux l’activité commerciale de l’entreprise. Cela donne naissance à l’innovation.

Quels défis et quelles opportunités voyez-vous – en particulier dans le contexte de la pandémie de COVID-19 – pour la gestion intégrée du cycle de vie du portefeuille immobilier des entreprises ?

AW: Cela dépend plutôt de la surface que le locataire occupe dans le bâtiment. Dans un bâtiment à usage mixte, le locataire n’est pas responsable directement des espaces communs ou de l’enveloppe du bâtiment. Cela est pris en charge par le bailleur puis décompté via les charges d’exploitation. Le contrôle et l’influence du locataire sont donc limités. Lorsqu’un bâtiment complet est donné en location, le locataire est responsable de l’ensemble bâtiment, mais pas au-delà de la durée du bail. Je pense donc que la gestion intégrée du cycle de vie des biens loués est davantage liée à l’utilisation temporaire d’un bien qu’à la stratégie d’une entreprise.

Pour conclure, la COVID-19 n’a changé ni le type de contrats souscrits par les entreprises ni la part de biens détenus en pleine propriété et de locations dans le portefeuille immobilier. Cela dépend beaucoup plus de s’il s’agit d’une entreprise de l’industrie manufacturière et de si des campus sont exploités.

Merci beaucoup pour cet entretien !

N.B.: les réponses ci-dessus reflètent un vaste éventail de données fournies par les membres du Swiss Corporate Real Estate Network. Ces tendances sont observées dans le secteur de l’alimentation et des boissons, de l’assurance, des sciences du vivant, des technologies et dans bien d’autres branches. Les réponses doivent être considérées comme représentatives de la façon de penser générale des entreprises locataires, ainsi que de leur politique et de leurs pratiques en matière de gestion du patrimoine immobilier.

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Chapitre #6

Swiss Corporate Real Estate Network

Rôle et mission du Swiss Corporate Real Estate Network.

Le Swiss Corporate Real Estate Network est un réseau de pair à pair composé d’experts immobiliers internes d’entreprises ayant leur siège en Suisse. Depuis 2018, le réseau a grandi jusqu’à atteindre 70 membres issus de 38 entreprises multinationales aujourd’hui. La moitié des 20 plus grandes entreprises suisses du SMI ayant une capitalisation boursière de plus de 1,5 milliard de francs y sont représentées. Cette communauté à été créée pour promouvoir les échanges, le partage des connaissances, l’apprentissage et la collaboration dans la branche. Les échanges de meilleures pratiques et d’innovations nous permettent d’accroître la qualité et l’efficacité des actifs immobiliers des entreprises, de construire l’avenir et d’améliorer la vie professionnelle des collaborateurs.

Alex Wilkins

  • Head of the Swiss Corporate Real Estate Network
  • Membre de la Royal Institution of Chartered Surveyors (MRICS)
  • Diplôme de 3e cycle en urbanisme de l’Université de Sheffield
  • Diplôme de 3e cycle en gestion immobilière de la London South Bank University

Alex Wilkins travaille dans l’immobilier d’entreprise depuis plus de 20 ans. Il a vécu et travaillé en Grande-Bretagne, en Italie, en France, à Singapour et en Suisse. Il est membre fondateur et à la tête du Swiss Corporate Real Estate Network.

Veuillez contacter Alex Wilkins si vous voulez rejoindre le Swiss Corporate Real Estate Network en tant qu’expert CRE exerçant en Suisse.

Real Estate News 2023

Le dernier numéro de "Real Estate News 2023" donne un aperçu de l'actualité économique, technologique, fiscale et juridique du secteur immobilier.

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Résumé

Les portefeuilles immobiliers des groupes internationaux se distinguent aussi bien par le fonctionnement que par le nombre et l’emplacement géographique des biens détenus. L’équilibre entre l’offre et la demande, le développement de la fonction CRE pour en faire un moteur de productivité et la définition d’indicateurs reflétant la contribution des biens à la valeur de l’entreprise seront les composantes des stratégies de portefeuille CRE de demain. Le lien entre l’identité de l’entreprise et l’attachement de ses collaborateurs passera de plus en plus au premier plan à l’avenir.

Remerciements

Nous remercions Annabell Nachbaur pour sa précieuse contribution à cet article.

À propos de cet article

Auteurs
Erik Ganz

Director, Head Real Estate Strategy & Transactions and Assurance in Financial Services | EY Switzerland

12 years focus on Asset Management and Real Estate. Family father, sport enthusiast and trusted partner. Pursuit networking, new challenges, and purpose-driven work.

Daniel Zaugg

Advanced Manufacturing & Mobility Sector Leader | Switzerland

Focuses on auditing and advising international clients.