Chapitre 1
Wincasa AG – Aperçu
Avec un portefeuille d’environ CHF 82 milliards, Wincasa AG est l’une des plus importantes sociétés de gestion immobilière en Suisse.
Quelle est la répartition du portefeuille immobilier de Wincasa ? Quelle est la proportion d’actifs sous gestion au sein de Wincasa ? Qui sont ses clients ?
Fondée en 1999, la société Wincasa a été reprise par le groupe Implenia en mai 2023 et, avec CHF 82 milliards d’actifs sous gestion, elle fait partie des plus grands gestionnaires immobiliers de Suisse. Son portefeuille comprend environ 250 000 immeubles locatifs sous gestion, allant d’une simple place de stationnement à un grand centre commercial, parmi lesquels figurent plus de 70 000 logements. L’usage résidentiel représente donc environ 39 % de notre portefeuille, les bureaux 22 % et les 39 % restants se répartissent entre commerces de détail et entreprises (Center & Mixed-Use Site Management). Wincasa compte une quarantaine de clients et s’adresse en particulier aux clients institutionnels (entre autres, sociétés anonymes immobilières cotées, fonds immobiliers cotés, fondations d’investissement et caisses de pension), aux entreprises (secteurs de l’infrastructure ou des télécommunications) et aux Family Offices. Notre appartenance au groupe Implenia nous permet d’offrir conjointement à notre clientèle un portefeuille de services intégré et attrayant sur le cycle de vie complet d’un bien immobilier. Dans ce cadre, l’accent porte principalement sur la durabilité et la numérisation.
En termes géographiques, nous sommes présents sur 33 sites dans toute la Suisse et employons quelque 1350 collaborateurs et collaboratrices. Wincasa accorde une grande importance à ce réseau national pour intervenir au plus près des marchés locatifs, de leurs parties prenantes et des biens immobiliers exploités. Notre portefeuille immobilier se situe en majorité sur le territoire de la Suisse alémanique. En revanche, la Suisse romande et le Tessin ne totalisent qu’environ 20 % du portefeuille.
Chapitre 2
Évolution du marché et de l’économie
Taux de vacance des logements historiquement bas : la Suisse à l’aube d’une pénurie de logements
Les taux de vacance se situent à un niveau historiquement bas et, tant dans les cercles politiques qu’économiques, les spécialistes s’attendent à une pénurie de logements dans les prochaines années. Comment en est-on arrivé à cette situation et que faudrait-il faire pour y remédier ?
Cette situation complexe est due à la conjonction d’une demande croissante et d’une offre qui stagne. Depuis plusieurs années, la Suisse affiche un taux d’immigration net élevé, et les nouveaux arrivants recherchent principalement un logement en milieu urbain, où la demande ne cesse d’augmenter. De surcroît, l’occupation de surfaces par personne ne cesse d’augmenter dans notre pays – une tendance qui ne semble ralentir que depuis peu. Du côté de l’offre, les responsables politiques et les autorités publiques ont essayé d’encourager la densification des constructions et de contrôler la dispersion croissante des propriétés résidentielles en révisant la loi sur l’aménagement du territoire. Dans les faits, toutefois, la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions a entraîné une raréfaction des logements et, à cause de recours et d’obligations diverses à respecter, la densification espérée ne tient apparemment pas ses promesses. Les parcelles encore disponibles pour la construction d’habitations sont en outre morcelées ou mal équipées. Sur le plan politique, des tentatives ont été faites pour adopter des droits de recours afin de faciliter la réalisation de projets de construction. Un autre levier, pour améliorer l’offre, consisterait à simplifier les procédures d’autorisation de construire, qui sont souvent fastidieuses et assorties d’obligations de plus en plus nombreuses. Enfin, les politiques doivent également se demander si la loi sur l’aménagement du territoire a atteint ses objectifs et, le cas échéant, en proposer une nouvelle version. Le groupe Implenia a de bonnes expériences des processus participatifs, en particulier dans le domaine de l’aménagement du territoire, où les parties concernées par un projet de construction sont conviées à un dialogue et impliquées dès le départ.
Un certain nombre de cantons suisses ont déjà introduit un contrôle des loyers et d’autres envisagent de le faire pour créer des logements abordables. À votre avis, quel est l’effet des dispositions encadrant les loyers, comme la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (LDTR) à Genève ou la Wohnraumfördergesetz (WRFG, loi sur la promotion du logement) à Bâle, sur le marché immobilier ?
Les mesures de ce type aboutissent à des phénomènes locaux et isolés. Les loyers peuvent être plus bas dans les régions là où le contrôle des loyers s’applique, mais dans les régions limitrophes et celles qui n’ont pas adopté de réglementation, ou une réglementation plus souple, les logements se renchérissent au-delà de toute proportion. On peut l’observer au fil des décennies dans la région du Lac Léman, entre Genève et Lausanne, et les statistiques le prouvent. La réglementation réduit également l’intérêt des investisseurs pour des nouvelles constructions ou des rénovations. J’ai habité pendant plusieurs années dans des logements locatifs à Genève et j’ai été personnellement témoin de l’aversion pour les investissements dans les immeubles. La qualité de certains logements s’est gravement détériorée. Après l’adoption récente de la loi sur la promotion du logement à Bâle, les premiers ralentissements se font d’ores et déjà ressentir dans les projets d’investissement et les transactions immobilières, entraînant des corrections de valeur. Bien entendu, le débat sur la nécessité de logements abordables est essentiel. La population est durement touchée par l’inflation, la hausse des loyers et les frais de santé. À de nombreux endroits, les logements sont devenus inabordables. Nous devons réfléchir, en tant que société, aux futurs modes de travail, d’habitat et de transport. Devons-nous réellement tous vivre dans un emplacement de premier choix dans un centre ou un quartier urbain ? Et si c’est le cas, pourquoi doit-il être si facile de bloquer ou d’empêcher la densification et la construction de bâtiments plus hauts dans des sites centraux attrayants, en toute simplicité et à peu de frais, par des recours ? Ne devons-nous pas faciliter, dans les villes ou les agglomérations, la construction de grands immeubles avec des utilisations mixtes contemporaines de travail et d’habitation ? Dans l’idéal, cela faciliterait également l’habitat intergénérationnel ou l’habitat pour les catégories socialement défavorisées ? Pourquoi n’est-il pas plus facile de transformer des surfaces de bureaux en logements ? Si de tels projets immobiliers sont préparés minutieusement pendant plusieurs années, dans le cadre de procédures participatives et avec le soutien des pouvoirs publics, mais finissent malgré tout par être rejetés par l’électorat (comme cela s’est produit à Zurich il y a quelques années), il ne faut pas s’étonner qu’il y ait une pénuerie de logements. Tous les acteurs de la société doivent être prêts à faire des compromis et un équilibre doit être trouvé entre les modèles de projets et les le cadre juridique et réglementaire.
Chapitre 3
Durabilité et ESG
L’analyse ESG déterminera l’avenir de l’immobilier : Wincasa soutient les objectifs en matière de durabilité et de climat.
Selon le Baromètre EY des tendances, 91 % des personnes interrogées pensent que ce sont les changements climatiques et les facteurs ESG qui auront le plus grand impact sur le marché immobilier suisse au cours des 5 à 10 prochaines années. Dans quels domaines identifiez-vous le potentiel le plus prometteur pour Wincasa et le secteur immobilier suisse pour contribuer à la réalisation des objectifs nationaux en matière de climat à l’horizon 2050 ? Comment Wincasa a-t-elle déjà contribué à la réalisation de ces objectifs climatiques ?
Chez Wincasa, nous pensons que les quatre domaines suivants renferment un grand potentiel pour faire progresser la durabilité dans le secteur immobilier : la définition d’objectifs de durabilité, une économie circulaire axée sur les matériaux durables, le reporting et la collecte de données précises. Dans la formulation des objectifs, il est important d’impliquer les locataires, par exemple, au moyen de « baux verts » ou de « green leases » qui les incitent à atteindre certains résultats en termes de durabilité. En parallèle, nous devons sensibiliser la chaîne d’approvisionnement et adapter les contrats avec nos fournisseurs, en y incluant nos exigences et un code de conduite. La question des matériaux nous concerne principalement lors de travaux d’entretien et de maintenance, dans lesquels une attention prépondérante doit être accordée aux produits et matériaux durables. La question de la durabilité dans les rapports publiés devient la norme dans le domaine institutionnel et il existe déjà une multitude de labels, de certificats et de marques de qualité ou d’indicateurs qui facilitent cette analyse pour les investisseurs. Le dernier point, l’acquisition de données, est un prérequis pour l’établissement de rapports complets. À ce jour, il reste néanmoins difficile de recueillir les données nécessaires de façon structurée et, surtout, automatisée.
Quel rôle pensez-vous que l’État devrait jouer dans la réalisation des objectifs de durabilité ?
L’État doit remplir quatre fonctions fondamentales en matière de protection du climat : fixer les objectifs (comme dans l’Accord de Paris à l’horizon 2050, par exemple), créer des cadres juridiques propices à la réalisation de ces objectifs, piloter les mesures nécessaires et construire les infrastructures permettant une utilisation efficace de l’énergie, avec un dosage approprié entre les sources. Pour orienter l’action de la politique climatique, l’État pourrait instaurer des incitations, comme des subventions, ou recourir à la fiscalité pour pénaliser les comportements indésirables. Il faut également garder à l’esprit qu’en Suisse, la concrétisation de projets d’infrastructures se heurte fréquemment à des droits de recours démocratiques, comme l’a montré le refus de parcs solaires dans le Valais, par exemple. Les instances politiques doivent se demander si ce système doit être modifié pour parvenir aux objectifs climatiques.
D’après vous, la prise en compte de critères ESG conduira-t-elle à de meilleurs rendements à moyen ou long terme ? Voyez-vous des différences dans la manière dont elle affectera les différentes classes d’actifs ?
Nous nous attendons à ce que des règles environnementales plus strictes, telles qu’elles prévalent dans l’UE par exemple, conduisent le marché immobilier à se scinder en deux segments : les bâtiments respectueux de l’environnement (Green Buildings) et ceux qui ne répondent pas à ces normes (Non-Green Buildings). À long terme, les Non-Green Buildings seront désavantagés dans les transactions et la recherche de financement et, dans le pire scénario, ils ne seraient plus négociables. C’est pourquoi je considère que la question n’est pas tant celle du rendement que celle de la nécessité– du moins pour les investisseurs institutionnels actuels – de s’assurer que leurs biens restent négociables et peuvent être financés. Nous sommes convaincus que les Green Buildings qui ont une bonne gestion de leurs coûts d’exploitation peuvent offrir un rendement attrayant.
Le « S » dans ESG est souvent négligé et difficile à quantifier. Selon vous, quels sont actuellement les plus grands défis dans ce domaine au niveau des biens immobiliers ?
La question de base est de savoir ce que nous pouvons mesurer. Chez Wincasa, nous nous concentrons spécialement sur les locataires. Une variable relativement facile à mesurer est leur satisfaction. D’autres indicateurs sont, par exemple, la durée de location des locataires ou l’identification des besoins et des offres disponibles. L’objectif du Community Management est d’encourager les locataires à interagir, donnant ainsi naissance à une communauté. À cette fin, nous organisons des manifestations et des événements, dont l’impact peut être mesuré. Concrètement, nous étudions le nombre de manifestations qui se sont tenues et le degré de satisfaction des locataires. Si l’on dépasse le « S » pour s’intéresser au « E », d’autres indicateurs importants apparaissent, comme les émissions de CO2 par personne ou par unité de surface locative. S’y ajoutent aussi, par exemple, la qualité de l’air ou la qualité de vie à l’intérieur et à l’extérieur du bien.
Mentionnons enfin le concept « Tenants for Tenants », selon lequel les locataires se soutiennent mutuellement. C’est une forme d’entraide de voisinage, avec pour principe « la jeunesse à la rescousse du grand âge » ou « le grand âge à la rescousse de la jeunesse ». Les plus jeunes aident par exemple leurs aînés dans leurs problèmes techniques, et les seniors prodiguent des conseils aux jeunes pour gérer le quotidien. Ce système peut lui aussi être mesuré : Quels sont les besoins et les propositions ? Les locataires sont-ils satisfaits de ces propositions ?
Quelle importance donnez-vous dans ce contexte à un point de contact physique sur place et aux interactions qui en résultent avec les parties prenantes d’un immeuble ?
Aujourd’hui, nombreux sont les immeubles qui n’ont plus de concierge attitré, car cette fonction est souvent partagée entre plusieurs immeubles pour des raisons d’efficacité. Avec le Community Management tel que je l’ai évoqué tout à l’heure, nous souhaitons nous ériger contre une telle rationalisation poussée jusqu’à la suppression du point de contact interne. Là encore, nous pouvons mesurer le nombre de personnes qui utilisent ce point de contact et les thèmes qui y sont abordés. En dehors des locataires, une interaction s’établit également avec les autres parties prenantes d’un immeuble ou d’une propriété : il peut naturellement s’agir du propriétaire, auquel nous avons affaire en priorité, mais aussi, par exemple, d’un commerçant ou d’un organisateur d’événements qui y loue des locaux, des pouvoirs publics impliqués, des fournisseurs, ou de nombreuses autres personnes qui agissent toutes indépendamment les unes des autres.
Toutefois, le fonctionnement est différent dans le cas de communautés d’intérêts de locataires dans les centres commerciaux par exemple : tous les détaillants d’un centre rencontrent en général le propriétaire et le Property Manager au moins deux à trois fois par an. Et ces échanges peuvent également être ouverts aux fournisseurs, de même qu’au Facility Manager ou aux sociétés de sécurité. Au bout du compte, ces plateformes d’échange entre les différentes parties prenantes permettent de définir de nouveaux ICP spécifiques.
En 2023, Wincasa a été le premier prestataire immobilier suisse à proposer le Community Management dans le cadre du Center & Mixed-Use Site Management. Il s’agit d’un concept bien connu des espaces de coworking et de co-living. Quels services comprend le Community Management ? Et comment les habitants et les utilisateurs accueillent-ils ce concept ?
Outre son activité principale, la gestion commerciale de bâtiments, Wincasa s’est spécialisée dans la gestion de centres et de biens immobiliers. Dans ce créneau, nous nous occupons essentiellement de centres commerciaux de taille moyenne à grande et nous gérons des sites à usage mixte. Parmi ces sites, on peut mentionner à titre d’exemple la Prime Tower, à Zurich-Hardbrücke, ou le Turm Areal, à Winterthour, qui abrite des usages aussi multiples que variés. Au total, nous gérons 25 sites pour lesquels nos équipes locales assurent l’exploitation commerciale et technique et le marketing. En complément Au-delà de cette gestion classique, nous proposons un Community Management afin de contribuer au dynamisme et à la diversité des sites. En d’autres termes, nous encourageons les interactions entre les locataires et nous organisons des événements ou des occasions de attrayants sur place, tels que des fondues, des événements autour d’un vin chaud ou une séance de yoga collective. Notre expérience nous permet de confirmer que ces offres sont très populaires. Les locataires aiment faire connaissance avec d’autres locataires et discuter avec eux et avec nous, ne serait-ce que pour évoquer les problèmes du quotidien.
Quels sont les objectifs de ce Community Management en ce qui concerne la durabilité sociale ?
Notre objectif réside dans la création d’espace : augmenter l’attractivité d’un site, mettre en place de nouveaux lieux de rencontre et, à travers le Community Management, établir une plateforme de communication et un sentiment d’appartenance par le biais de la gestion communautaire. Cela rend un immeuble attrayant, ce qui attire davantage de locataires et, à son tour, accroît sa capacité de location et la durée de location, parce que les gens s’y sentent bien. De plus, un dialogue plus approfondi peut être mené sur les changements potentiels dans les bâtiments ou le voisinage immédiat, ce qui permet de répondre plus facilement aux besoins de toutes les parties prenantes. Selon son envergure, le cercle du Community Management peut être étendu d’un seul immeuble à l’ensemble du site, d’un quartier ou d’une place de la ville, selon le cas. En fin de compte, elle renforce à a fois la durabilité et la résilience financière de l’immeuble et du site dans son ensemble, et le positionne favorablement pour l’avenir.
Mais le Community Management ne s’arrête pas là : il s’agit également de mettre en place une offre de services qui aide l’investisseur à réaliser une performance économique optimale et à minimiser les surfaces vacantes. En résumé, si l’on réussit à maintenir plus longtemps les locataires d’appartements, de bureaux ou de commerces dans leur bien loué, toutes les parties impliquées réalisent des économies (notamment les coûts du remplacement des locataires, du départ de l’ancien locataire à l’intégration du nouveau locataire).
Chapitre 4
La classe d’actifs des centres commerciaux
La transformation des centres commerciaux en lieux de rencontre et d’expérience
Dans les centres commerciaux idéalement situés dans les villes suisses, les loyers ont augmenté en moyenne de 20 à 30 % au cours des 10 à 15 dernières années. Dans les zones périphériques, l’augmentation est plus modérée, mais elle atteint malgré tout 10 à 15 % en moyenne (reflétant une demande accrue d’espaces commerciaux ainsi qu’un renchérissement des coûts de construction et d’exploitation). Le nombre de personnes qui fréquentent les centres commerciaux suisses a également progressé durant les 10 à 15 dernières années : environ 470 millions de visites ont été enregistrées en 2010 et la barre des 500 millions a été franchie en 2023. Sur cette base, les centres commerciaux constituent donc une opportunité d’investissement intéressante. Pourquoi avez-vous pris la décision délibérée de consacrer une partie de vos activités à cette classe d’actifs ?
Wincasa a décidé de pénétrer ce segment du marché vers 2010 et, depuis lors, nous l’avons développé en continu. Nous gérons au total de plus de 100 biens immobiliers affectés au commerce de détail, parmi lesquels quelques-uns des plus grands centres commerciaux de Suisse et d’autres plus modestes. Avec quelque deux millions de mètres carrés de surface commerciale, nous sommes l’un des plus grands gestionnaires de centres commerciaux de Suisse, aux côtés des grandes chaines de magasins que sont Migros, Coop et Manor qui possèdent leur propre parc immobilier. En Suisse alémanique, par exemple, nous gérons des centres commerciaux emblématiques tels que Sihlcity à Zurich ou Shopping Arena à Saint-Gall, et, en Suisse romande, le centre commercial La Praille à Genève, à côté du stade de football.
D’après vous, comment s’expliquent les chiffres cités ci-dessus malgré la pandémie survenue durant cet intervalle ?
La croissance démographique doit être prise en compte dans la fréquentation des centres commerciaux. Cependant, la dépense moyenne des consommateurs en francs n’a pas retrouvé son niveau d’avant la pandémie dans tous les centres commerciaux. Du point de vue des investisseurs également, les centres commerciaux suisses ont perdu de leur attrait en raison de la force du franc depuis 2015, de la multiplication des recours lors de rénovations ou de l’effondrement de la consommation pendant la pandémie, sans oublier l’augmentation des coûts d’emprunt. En parallèle, l’essor du commerce en ligne s’est accéléré et représente à ce jour 10 à 12 % du volume total du commerce de détail, même si les taux de croissance ralentissent. Inversement, cela signifie également que près de 90 % des achats sont effectués dans des points de contact physiques. Les magasins et les centres commerciaux restent donc à la fois la forme d’achat prépondérante et un lieu de rencontre attrayant pour le public. C’est précisément pour ces raisons qu’ils continueront de faire partie intégrante d’un portefeuille diversifié pour de nombreux investisseurs professionnels.
Dans ce contexte, il est également primordial de faire une distinction entre les zones périurbaines et les zones rurales. Y voyez-vous des difficultés ou des opportunités particulières ?
Les emplacements périphériques, à l’extérieur des agglomérations, sont plus souvent difficiles pour les centres commerciaux, notamment lors des changements de locataires. Un positionnement clair et attractif ainsi que l’accessibilité au site jouent un rôle décisif. Le contraste est frappant par rapport aux emplacements urbains, comme Sihlcity, qui s’est enrichi d’usages mixtes dans le domaine de la restauration et des loisirs pour former un Urban Entertainment Center et qui est idéalement desservi et situé tant en termes de transports publics que privés. Il en résulte beaucoup plus de possibilités d’orientation et de repositionnement pour pratiquement toutes les parties prenantes, à savoir les propriétaires, les locataires et les gestionnaires.
Les défenseurs de l’e-commerce se plaisent à dire que « les centres commerciaux seront condamnés d’ici cinq à dix ans ».
Je ne partage pas cet avis. Historiquement, les lieux de rencontre physiques sont un besoin pour l’être humain. Ils ont d’ailleurs de tout temps joué un rôle important dans la société – pensez aux forums romains, avec leurs marchés, aux « zoccalos » ou aux « mercados » en Amérique latine ou aux « souks » dans les pays arabes. Bien entendu, le commerce en ligne est incontournable à l’heure actuelle, en particulier dans les pays où les temps de trajet pour se rendre dans un centre commercial sont longs. Néanmoins, les points de vente physiques n’en demeurent pas moins prépondérants à travers le monde, et tout spécialement en Suisse, où le territoire est morcelé. Je le répète, le commerce en ligne stagne à moins de 15 % du volume total du commerce de détail en Suisse. De plus, la stratégie omnicanale a séduit la majorité des détaillants, si bien que les sites commerciaux modernes opèrent désormais tant sur des canaux analogiques que numériques. Mais précisément les centres commerciaux connaissent actuellement un regain d’intérêt. Ce sont des lieux de rencontre et d’achat particulièrement appréciés s’ils sont capables, en plus de satisfaire les besoins de base, d’offrir des services attrayants tels que des divertissements et des commodités.
Quel est, selon vous, le point le plus important à retenir dans le cadre de cette transformation – celui qu’il ne faut pas négliger ?
Tout centre commercial doit avoir un positionnement clair. Un centre commercial destiné seulement à l’approvisionnement de proximité dans un village ou une petite commune, où tout le monde fait ses courses, peut être très attractif s’il propose un bon assortiment de biens de consommation. D’autres facteurs comme l’état des bâtiments, l’accessibilité et la communication active avec les consommateurs, jouent un rôle important.
Existe-t-il des ICP spécifiques pour le segment des centres commerciaux ? Quels ICP sont mesurés ?
Les ICP les plus importants sont le chiffre d’affaires, la fréquence des visiteurs, la taille ou la composition du panier d’achat et l’analyse des catégories de clients qui utilisent les transports publics ou leur voiture personnelle pour se rendre au centre commercial. Les centres commerciaux peuvent mener des enquêtes à cet effet ou, selon le centre commercial, des applications permettent d’analyser les paniers de produits, d’enregistrer les itinéraires empruntés par les visiteurs dans le magasin ou de repérer les magasins dans lesquels ils achètent réellement. Ces données peuvent ensuite être utilisées pour déterminer les pistes d’action et les mesures à prendre en matière de communication. Dans les autres segments tels que les bureaux, les commerces ou habitations, un tel suivi des ICP n’est possible qu’à une échelle relativement restreinte.
Chapitre 5
Numérisation et intelligence artificielle
Changer la donne grâce à l’IA : comprendre son rôle et l’intégrer dans les modèles d’affaires
Le Baromètre EY des tendances 2024 indique que l’intelligence artificielle (IA) jouera à l’avenir un rôle important dans la conception des modèles d’affaires. Environ un tiers des investisseurs sont d’ores et déjà en train de l’intégrer dans leurs modèles d’affaires. En quoi l’IA a-t-elle influencé la conception du modèle d’affaires chez Wincasa ces dernières années ?
L’IA va changer la donne à l’avenir. Mais quel est le problème à l’heure actuelle avec l’IA ? Avant de pouvoir la mettre à profit, il faut établir une série de principes et de conditions de base, dont une infrastructure technologique solide, des données cohérentes et le respect de la législation sur la protection des données. Dans le même ordre d’idées, les technologies de l’IA doivent d’abord atteindre un degré de maturité permettant un fonctionnement sans erreurs, même dans le cas d’exigences complexes.
Nous avons inscrit dans notre stratégie Wincasa2025, lancée en 2019, notre intention d’opérer une transformation globale de notre entreprise sur quatre plans : la technologie, les processus, l’organisation et la culture. Parmi les objectifs de la transformation technologique figurent une stratégie « cloud-first », la création de portails numériques pour nos principaux partenaires, comme les propriétaires, les locataires, les fournisseurs et les membres de notre personnel, et l’intégration des systèmes centraux et périphériques au moyen d’Integration Hub. Nous avançons étape par étape dans la conformité avec la loi sur la protection des données et la rationalisation de nos bases de données. Nous fonctionnons en outre sans papier, ou autrement dit, nous sommes entièrement numérisés et nous pouvons dès à présent travailler indépendamment du lieu. Dans le même temps, nous adaptons notre modèle opérationnel dans notre activité de gestion immobilière en densifiant notre réseau de succursales, en répartissant systématiquement la prise en charge des biens immobiliers et des locataires entre le B2C et le B2B et en professionnalisant les modes de commercialisation et la mesure des performances. Nous avons besoin de profils de personnalités et de compétences adéquats pour que ces changements en profondeur puissent être mis en œuvre avec succès. En 2018 déjà, nous avons commencé à définir sept valeurs culturelles qui serviraient de base à la transformation au sein de petits groupes de travail actifs à tous les niveaux hiérarchiques. Cette transformation sera achevée sur tous les plans d’ici à la fin 2025.
Les systèmes informatiques du secteur immobilier ressemblent à un patchwork. À quelles exigences doit satisfaire une architecture logicielle moderne ?
En réalité, il n’existe aucun logiciel qui supporte de façon exhaustive tous les domaines thématiques que doit traiter un prestataire immobilier. Toutefois, une architecture d’entreprise moderne en tient compte. La solution Integration Hub évoquée précédemment, associée à des portails numériques et des bases de données bien structurées, permet de disposer d’une plateforme technologique à la pointe du progrès et évolutive.
Dans quels domaines utilisez-vous l’IA dans vos activités quotidiennes ?
Pour l’instant, nous utilisons l’IA de manière ponctuelle et limitée. Dès que vous traitez des données sensibles dans une infrastructure cloud, qui est souvent internationale, vous risquez d’enfreindre la législation sur la protection des données. Par conséquent, la prudence s’impose et l’usage de l’IA dans un milieu soumis à des normes professionnelles strictes, avec des investisseurs institutionnels, comme Wincasa, est fortement limité. À diverses occasions, nous avons néanmoins eu recours à une IA conforme aux règles de protection des données pour évaluer son efficacité et tester la technologie.
Conclusion : les technologies sont encore imparfaites et sujettes aux erreurs. Souvent, elles nécessitent en outre un accès complet à un vaste ensemble de données provenant de différentes sources. Et dès que le problème devient trop complexe ou que des informations doivent être obtenues auprès du propriétaire d’un bien, les technologies d’IA sont dépassées et une intervention humaine est indispensable. Par conséquent, une infrastructure numérique solide, ainsi qu’un accès intégral aux sources de données et des solutions, sont donc une nécessité absolue. Mais cela devrait se faire dans les cinq à dix prochaines années.
De toute évidence, le potentiel de gains de productivité et d’information grâce à l’IA est immense. Dans le secteur immobilier, cela pourrait se traduire par de précieuses découvertes en matière de « predictive analysis » ou de « predictive forecasting » sur le comportement des locataires, l’optimisation des cycles d’entretien et d’investissement et les besoins de nouveaux services supplémentaires. Détenir l’infrastructure et les données procurera à l’avenir un avantage concurrentiel significatif.
Vous avez déclaré tout à l’heure qu’une grande partie des services de l’IA ne sont pas encore arrivés à maturité dans l’IA, comme l’OpenAI. Où se situent d’après vous les principaux dangers ?
Le danger réside dans l’absence de certitude pour les partenaires. Impossible de savoir qui m’envoie un e-mail, à qui est-ce que je parle ou si un contenu ou une demande est bien authentique, et non un « deep fake » produit par un moteur d’IA. C’est donc une question de confiance et de fiabilité. En tant que gestionnaire immobilier ou comptable autorisé à effectuer des paiements, je dois m’assurer qu’un mandat que je reçois est réel, que je ne me trompe pas et que je ne déclenche pas un paiement indu en raison d’une fraude ou d’une erreur. Aujourd’hui déjà, tout cela fait l’objet d’un processus de contrôle minutieux, mais à l’avenir, ces examens deviendront beaucoup plus complexes en termes de capacité d’évaluation et d’aptitude des personnes.
Vous avez largement contribué à la promotion et à l’avancement de la numérisation de Wincasa.
a) Quels sont les trois conseils que vous donneriez à une entreprise bien établie dans le secteur immobilier qui souhaite élaborer une stratégie de numérisation ?
La numérisation fait partie d’une stratégie de transformation. L’instauration de la numérisation modifie les processus, ce qui se répercute sur l’organisation structurelle et requiert un état d’esprit approprié chez les personnes concernées au sein de l’entreprise (mot-clé : culture d’entreprise) et à l’extérieur de l’entreprise (mot-clé : écosystème). Mes trois conseils reposent sur ce constat.
Ne pas sous-estimer : un projet technologique et une stratégie de transformation sont extrêmement complexes, longs et coûteux.
Soyez persévérant et courageux : le courage est essentiel, car on fait face à de nombreux paramètres inconnus, que ce soit au niveau des technologies en constante évolution, du manque initial de connaissances et compétences, de l’évolution des exigences des clients et de l’environnement géopolitique et monétaire, pour n’en citer que quelques-unes. En même temps, le processus suscitera des résistances qu’il faudra gérer correctement (mot-clé : gestion des parties prenantes), sans compter que l’adoption d’un nouvel outil ou d’un nouveau processus n’est pas toujours couronnée de succès au premier coup. Il faut persévérer et croire en la capacité de mettre en œuvre le changement.
Être visionnaire et patient : lors de la mise en œuvre d’une stratégie de transformation et de numérisation, un certain temps s’écoule avant que toutes les parties prenantes comprennent et s’approprient pleinement l’ensemble. En particulier dans un environnement soumis à des exigences strictes en matière de conformité et de protection des données, où se côtoient de multiples profils professionnels et des clients institutionnels. Vous avez besoin d’une vision claire, d’une idée de l’objectif à atteindre, faire preuve de patience et de confiance dans votre capacité à gérer la mise en oeuvre.
Aujourd’hui, nous avons mis en œuvre les deux tiers de notre stratégie Wincasa2025. Nous accomplirons le dernier tiers du chemin en collaboration avec Implenia. Les premières synergies ont déjà été réalisées et nous élargissons notre gamme de services avec des offres conjointes attrayantes pour nos clients. Nos actionnaires et nos clients croient en nous, ils nous soutiennent et, malgré les difficultés, perçoivent les avantages qui apparaîtront encore bien plus clairement au fil du temps.
Merci pour cet entretien.
Résumé
La société Wincasa AG, membre du groupe Implenia, gère un grand portefeuille immobilier suisse en misant notamment sur la numérisation et la durabilité. D’après Oliver Hofmann (CEO), la pénurie de logements en Suisse exige des réformes politiques et de nouveaux projets de construction. Le contrôle des loyers peut avoir un impact négatif sur les investissements. Oliver Hoffmann considère l’ESG comme le point le plus important pour l’avenir, avec un rôle-clé pour l’Etat. L’intelligence artificielle, appelée à changer la donne, doit relever les défis connexes. Le Community Management accroît la durabilité sociale. Les centres commerciaux gardent leur intérêt malgré Internet et la pandémie. M. Hofmann recommande la clairvoyance et la patience dans la mise en œuvre des stratégies de numérisation.
Remerciements:
Nous remercions Annabell Nachbaur and Simon Schmid pour leur contribution à cet article.